dimanche 25 mai 2014

La première scène de La crème de la crème,

 c’est une soirée prépa, avec des Paul-Lou et des Eve-Marie habillés en Lacoste. Les gens hurlent Les Lacs du Connemara de Michel Sardou. Ils se tiennent par les épaules. Union communautaire dans ce qu’elle a de plus profond. Mais ils sont monstrueux, parce que la petite prolo et les mecs qui ont vécu chez les youyous, qui les regardent, sont exclus de ce monde de riche ; ils ont jamais écouté Michel Sardou, il ne peuvent pas faire corps.
C’est l’histoire de trois étudiants qui créent des échanges entre les deux sortes de pauvretés absolues : celle du sexe (les puceaux des riches), et celle de l’argent (les belles meufs des pauvres). Et ils se font un tas de fric. C’est la chose la plus humaniste qu’ils pouvaient faire, en tenant compte du système capitaliste, et leur orientation HEC. Ils trouvent un profit (ça c’est HEC) dans la résolution partielle de la souffrance des deux classes (ça c’est l’humanisme). 
 Mes potes et moi, on est une sorte de mixte. On n’est pas sponsorisés par Lacoste. Nos parents ont des verres à moutarde Batman et regardent la télé pendant le repas. Mais nous avons écouté Michel Sardou pendant notre enfance et c’est pour ça qu’on fait corps sur les Lacs du Connemara. C’est parce que c’était le Christophe Mae des prolos et que nos mères étaient amoureuses de lui. On n’y peut rien.

En fait quand on meurt,

 c’est pas comme quand on quitte Secret Story. Quand on quitte Secret story, tout se déroule comme si de rien n’était à l’intérieur, ton nom est oublié, personne n’évoque le sujet. C’est l’expérience de la disparition absolue. J’ai toujours trouvé ça vraiment étonnant, que la présence des candidats soit négligeable. Quand ils ne sont plus là, rien ne change, et c’est comme s’ils n’avaient même pas existé. 
Hier en arrivant sur le parking de la chambre funéraire à Gambetta, j’ai vu mon oncle, ma cousine et mon cousin, formant avec leur corps un assemblage que je connais. Leur famille, leurs voix. Et ça m’a frappée, il y avait Nadège, en creux, dans tout ça. C’est assez physique, comme si la présence de sa famille appelait l’espace de la sienne ; presque comme si elle existait, qu’elle allait débarquer avec sa clope et ses paillettes sur le décolleté. Alors, ça fait un peu chialer au début, parce qu’elle ne va pas arriver avec sa clope. Mais surtout, c’est que la disparition absolue ne va pas se produire. Je me demande si je suis normale, ou si je m’acharne à vouloir conserver des souvenirs tenaces, si je refuse de les laisser partir.