mercredi 12 juin 2019

Article intitulé de manière provocatrice « Va niquer ta mère, toi, et ton projet de chef de projet »

Hé hé hé, tss, je la connais celle-là. On me l’a déjà faite. Je ne peux pas être en couple avec toi, tu comprends, je n'ai pas le temps pour avoir une vie amoureuse. Mon travail d’ingénieur/ ma recherche de travail/d’appartement/ mon projet d'entreprise/ ma famille/ mon père et ma mère vieillissants m'en empêchent (Hé, les rebeus, il n’y a que vous de coincés avec des parents manipulateurs qui veulent vous faire acheter des 4x4). 

Nique ta race. Ecoute moi bien princesse Sarah des ingénieurs, je n'ai rien à branler. Ça s'arrête là, à l'instant. 

- Mais je suis sur un gros projet… 
- Ouais ouais, moi aussi, oulala j'ai clairement pas le temps de t’écouter. 

Ce qui m'énerve, c’est pas vous (si, c'est vous, ah ah), c'est que je reste. Et je reste et j'attends quelque chose alors que rien a été annoncé. Il n’y aura rien, a été clairement annoncé. Et moi je marchande : « oui, mais j’ai besoin de …. (mettez tous vos besoins de couple dans cette case) », « mais tu sais, on aurait pu… », « tu sais qu'il est possible d’avoir une relation, même au chômage... ». Niveau 5 de la serpillière, alleezz. Ca me semble vraiment la meilleure des choses à faire, de demander à qui ne donne rien. J'ai attendu après JB, j'ai attendu après Shap, j'ai attendu après le gros Chaouki. Mais j'ai attendu qui? J'ai attendu des pauvres types déjà, qui n'avaient rien à donner ensuite: ah ouais beau projet. Ce sentiment d’accomplissement qui ne vient pas, quelle douceur (La psychanalyse m’aura-t-elle délivrée de cette mauvaise habitude ? Vous le saurez dans la suite de ma vie amoureuse).

Article intitulé, c’est à celui qui trouve le plus d’intérêt à son être

Ouaiche ouaiche, bien ou bien. J’arrive avec deux nouvelles théories : la première, je l’ai oubliée pendant que je faisais cours, et elle n’est pas réapparue depuis, la deuxième, c’est sur la différence entre les hommes et les femmes dans le stand up. 

Entre la nonchalance cokée de Chris d’Elia, et la fébrilité-je m’excuse d’exister de Christine Berrou, il se passe quelque chose. C’est pas que Chris d’Elia ait beaucoup plus de choses à dire que Christine Berrou, ou que son propos soit plus pertinent. Il semble d’ailleurs que ce soit l’inverse. Chris d’Elia, au bout du rouleau, mot d’ordre : prenons de la coke, crions sur scène, chions sur le public. Pourquoi pas. Principes philosophiques à l’oeuvre : les humains qui composent le public sont des merdes (il veut tuer l’égo, certes), aimer c’est sortir trop longtemps avec quelqu’un et s’y habituer, la vie est une pute, et autres banalités de dépressif agressif moite (il transpire dans ses cheveux gras). Assez peu de bienfaits pour l’humanité finalement. 
Christine Berrou est militante, je sens qu’elle a sous le pied de la bonté, de l’humilité, qu’elle ose à peine exprimer dans ses textes, et qui n’exsudent pas de son attitude. Ce qu’on voit, enfin ce qu’on entend, c’est une voix entrecoupée de halètements effrayés, de sursauts respiratoires, quelque chose qui sonne comme : « je suis désolée de prendre tout ce temps pour m’exprimer, si j’ai l’air de le regretter, ça passe mieux ? ». C’est-à-dire qu’il serait possible pour elle, de se sentir investie du pouvoir et de l’importance d’être la personne géniale qu’elle est; mais que ça exsude pas de son attitude. On pourrait se dire : ouah, la meuf. Mais non. 

Donc dans le concours du meilleur stand up, on n’est pas sur : qui est le meilleur être humain, parce que ça, Christine Berrou l’emporte haut la main.

Mais, m’interrogeais-je par un temps pluvieux et froid, dans un air bnb doté d’une voûte en pierre dans le sud de l’Italie ; qu’est-ce qui fait que Chris D’Elia arrive sur scène, genre « je vais tous vous baiser bande de putes, je suis métaphoriquement sur une Harley Davidson et je sillonne les routes du stand up en vous disant d’aller tous vous faire enculer du haut de ma confiance sans limite » ; et que Christine Berrou s’excuse de devoir parler d’elle et de végétarisme. Hein. Qu’est ce qui fait que les hommes arrivent avec des clichés, rien à dire de spécial « les arabes, vous êtes des voleurs, blablabli », mais avec une confiance de fils de pute? J’ai une réponse. C’est que leur être est justifié, suffisant pour exister sur la scène. Chris d’Elia arrive avec une sorte de prémisse inconsciente : ce que je dis est assez important/intéressant et je vais le dire tous les soirs sur scène. Mon être, ça vaut le coup, regardez. On est sur : qui arrive avec la plus grosse confiance, c’est à celui qui trouve le plus d’intérêt à son être. 

Ca me fait souffrir, ça me recroqueville intérieurement, de regarder une femme sur scène parler avec une voix de petite fille, une voix à sursauts respiratoires, une voix au souffle saturé dès le premier mot. Venez les filles, nous aussi on a des personnages de stand up à la voix posée, lourde, pleine, au débit lent, ultra lent, parce que le public va écouter avec attention chaque syllabes et chaque anecdote tout à fait banale, écouter la phrase juste pour son phrasé de bâtard. Venez on se contente de deux trois mots par phrases, prononcés lentement, lentement sa mère. Venez, on prend le temps de parler, d’occuper le temps et l’espace comme si la scène était à notre père (enfin, pas au mien, si vous voulez bien).

L’intelligence du propos des filles, leurs analyses sociologiques (le pingouin de Sophie Mounicot, le lion de Iliza Schlesinger). En parallèle, les personnages de filles dans le stand up ont une image tellement merdique: elles sont périmées pour la séduction, trop vieilles, trop grosses, trop ceci, trop cela, larguées, trompées, délaissées, en demande, en manque, célibataires, esseulées, en galère. 

Les filles, vous voulez pas entrer sur scène, et raconter si peu de vous, que vous passez pour un petit con misanthrope qui insulte l’univers pour s’amuser ? Un sale con qu’on a envie d’entourer et d’aimer, parce que c’est mignon d’être un sale con misanthrope, au fond ? Avec des cheveux gras, ou une propension à fumer de la weed jusqu’à ressembler à un toxico ? Quelqu’un qui n’a pas besoin de relation, okay, ça suffit les mecs de toujours chercher notre attention et des discussions. Merde, on s’en fout de vous !