lundi 8 août 2016

L’histoire du mec bourré et de la poupée de chiffon

Cet hiver quand j’étais sur le lit d’hôpital à avoir des contractions, ma mère me disait de me faire toute molle, comme une poupée de chiffon. De ne pas résister, d’accompagner les contractions. 
Il y a une histoire dans le Tao Te King, qui dit qu’un homme ivre qui tombe d’une charrette en marche ne se fait pas mal. Il n’oppose pas de résistance, son corps est complètement relâché. La sagesse s’apparente alors à ce que produit l’ivresse. 
Moi j’ai galéré pour comprendre. J’ai GA-LÉ-RÉ. Je comprenais l’histoire bien sûr. Mais quant à le vivre moi, c’était pas gagné. Et puis j’ai découvert que ce n’était pas dangereux d’aller face à ce qui fait peur. Quand c’est là de toute façon. Se dire, okay, je me détends et je regarde. Je suis complètement relâchée, je n’oppose pas de résistance en essayant d’éviter, d’oublier, en bloquant cette pensée. Je la laisse venir. Tout va continuer, je ne vais pas mourir. 
J’ai appris dans le monastère (y’avait du level en sciences ; une meuf du CNRS qui était là a trouvé un nouvel anti-inflammatoire qui ne cause pas de dégât sur le corps, mais aucun labo ne veut l’acheter ; miskina l’humanité) que les zones de fragilité, quand elles sont activées et quand on en a peur, sont assimilées à un danger mortel, d’où le stress intense comme réflexe de survie (production  d'adrénaline, de cortisol, accélération du rythme cardiaque, stop des sécrétions et préparation à la fuite). 
Toutes ces pensées effrayantes qui me font partir en live, je n’ai pas à en avoir peur. Il me suffit de les regarder avec une gentille attention. Une tranquille et douce attention. J’avais écrit un long article pour dire comment toutes ces phrases s’étaient incrustées salement dans mon cerveau. Mais après tout peu importe. On les regarde et elles passent. Peu importe d’où elles viennent. 
Tout à l’heure, j’étais sur le facebook de JB. Son ex amour de sa vie de la passion de c’est merveilleux de il l’aime encore et moi non, a posté quelque chose sur son mur, elle avait l'air de le connaître comme sa poche. Mon cerveau a fait : « aïe aïe aïe, c’est chaud, ça brûle, c’est trop difficile, je ne voulais pas voir ça, je veux fermer la page, je veux oublier, je ne veux pas me rappeler qu’il a aimé quelqu’un d’autre, je ne vais pas y survivre. Personne ne m’aimera jamais à en mourir, il ne m’aimera jamais à en mourir. Pompiers, samu, millepertuis, je panique je souffre, appelez Benjamin Biolay, qu’il me chante une chanson ». J’ai un haut degré d’expertise en production de pensées désagréables. J’ai intégré le CNRS de production de pensées désagréables, moi. 
Et là, mon travail acharné depuis des mois pour me construire une stabilité émotionnelle et un esprit heureux et satisfait (psychologie positive, taoïsme, méditation, naturopathie, acuponcture, draps frais monoprix) a enfin payé. Mon cerveau a produit une lueur nouvelle. Ca a fait : « Popopop, ca ne me fait pas peur, d'où j'sors d'une ronde Belsunce Breakdown, je vais aller regarder tout ça ». J’ai tout posé et je suis allée voir. Je fais ça à chaque fois que j’ai besoin. Pour une rupture quand j’ai l’impression que je ne pourrai pas vivre sans lui, pour une déception, quand mes colocs coupent le jasmin étoilé parce qu’ils sont un peu cons, tout ça, quand je suis en colère, abattue, je l’ai fait la semaine dernière parce que je saignais du col de l’utérus depuis plusieurs jours sans raison, je me disais à haute voix tout ce qui me terrifiait : « je vais perdre tout mon sang », « je vais partir en vacances et je serai mal soignée... et je vais perdre tout mon sang ». Je ferai ça à chaque fois qu’un ex aura une nouvelle meuf, quand je saurai que S. a une nouvelle meuf à humilier –la petite chanceuse - ; mais on lui dit merci, parce que c’est à cause de lui que j’ai commencé à méditer vraiment. 
Bref, moine tibétain l’année prochaine les gars. J’en ai rien à foutre de rien. Signé : Verlaine. L’objectif : je suis là, je ne me fais pas de mal, je gère, je suis bien. Prochain objectif, après les troubles alimentaires, l’angoisse de devenir folle, l’angoisse de ne jamais recevoir assez d’amour, la conquête de la stabilité émotionnelle, du sentiment de plénitude et de satisfaction : je veux une relation amoureuse stable et épanouissante d’ici quelques temps. Et si j'ai pas ça, j'aurai d'autres relations, et ça n'est pas grave, parce que je suis complète et c'est good. Faites de moi ce que vous voulez, je ne résiste plus.