mardi 15 mai 2012

La différence entre Bruno et Michel, dans les Particules élémentaires.

Les personnages houellebecquiens comme Michel ont épuisé ce qui pouvait les occuper. Ils ne charrient aucune envie particulière, aucune haine qui les motiverait, ils voient tout en face; ils ne bénéficient plus du voile que permet l'agitation. Tandis que Bruno a une revanche à prendre. Il veut se faire toutes les filles de la terre, depuis l’épisode de Caroline Yessayan (tout est de la faute de Caroline Yessayan). Ca allonge un peu sa durée d’activité, la souffrance ne lui tombe pas immédiatement dessus; les personnages houellebecquiens la reçoivent quant à eux sans attendre mais savent la faire durer indéfiniment (lexo-lexo-mile-mile-mil). Ce qui m’effraie beaucoup, c’est de voir tout en face, et d’avoir épuisé tout ce qui pourrait m’occuper.
Un mec à côté duquel et quelques fois avec lequel (on a regardé l’Exorciste ensemble en cinquième, et ce sont les premiers pieds nus d’hommes mal construits que j’aie vu de ma vie) j’ai vécu toute ma vie à Dreux a décidé de se suicider. Mon père disait le nom entier des gens de mon école dont je parlais, pour se moquer de moi (je n’ai toujours pas compris l’astuce), ça donnait «Julie Coussens » (mais où es-tu Julie Coussens ?), ou le nom de ce gars.
Je crois qu’il avait tout épuisé, et c’est effrayant. Parce qu’à vingt-quatre ans, il doit rester au moins, je ne sais pas, dix ans au lexomil, deux ans à l’héroïne. Je pensais qu’on pouvait aller jusqu’à trente-cinq ans à l’aise. Et encore une fois je ne comprends pas ce qui se passe, et je revois parfaitement ses cheveux brillants, sa mâchoire, toutes les discussions et leur géolocalisation (j’ai une mémoire visuelle).